Ce soir, je danse.
Ce soir, je danse. Ce soir, je vais devoir exprimer des sentiments avec des mouvements, je vais devoir me coller des mots sur le corps. Ce soir, il ne faudra pas que je me trompe. Ce soir, il ne faudra pas que je sois ridicule. J'ai peur de ce soir. J'ai hâte d'être ce soir. J'aime les ambiances lors des répétitions générales, quelques heures avant le spectacle. J'aime ne pouvoir rien avaler au dîner, d'abord parceque ce n'est pas vraiment encore l'heure de manger, mais bon, il faut manger tôt si l'on veut être prète, et ensuite parceque l'on a une boule dans la gorge ou dans le ventre, au choix. J'aime le stress et l'angoisse qui montent dans les vestiaires minuscules où les filles sont entassées, les unes sur les autres, et qui se précipitent, dans un élan de fraternité, pour rajuster une mèche sur la coiffure d'une danseuse. J'aime la fraternité qui monte dans ces moments là. J'aime les regards embués et stressés des filles des autres groupes qui te regardent partir pour monter sur scène, dans l'angoisse de l'attente de leur tour. J'aime croiser les deux professeurs de danse, le visage tendu, plus angoissées que toutes les filles réunies. J'aime les regards attendris sur les petites, les toutes petites, qui angoissent elles aussi, mais qui ne le montrent pas trop. J'aime l'exaspération de les voir courir et sauter partout, elles sont intenables. J'aime l'exaspération de ne pouvoir fixer ses cheveux correctement, de ne pas se trouver assez jolie, même avec la tonne de khôl que l'on vient de se tartiner. J'aime regarder les autres danser, en me disant que c'est bientôt à moi. J'aime le final, où toutes les filles se défoulent, et après lequel les bouquets de fleurs se multiplient dans les bras de nos professeurs. J'aime les vestiaires croûlants sous les costumes, j'ai perdu mon pantalon, tu n'as pas vu mon haut rouge.
Je déteste rentrer chez moi, après, et me coucher, un bourdonnement sourd dans les oreilles.
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